En octobre dernier, j’ai remporté la médaille de bronze à la Finale de la Coupe du Monde, qui se déroulait à Nanjing, en Chine. C’est une ville qui avait déjà accueilli les Jeux Olympiques de la Jeunesse, et j’avais envie de vous partager un peu comment j’ai vécu cet événement, ce qu’il représente pour moi.
Il faut savoir que la Finale de la Coupe du Monde réunit uniquement les huit meilleurs archers de l’année par catégorie, soit trente-deux athlètes en tout. C’est vraiment la fin de saison, l’apothéose : un niveau énorme, une intensité particulière et un format ultra serré. Pas de qualifications, juste des phases finales qui commencent directement en quart. Quelques minutes, quelques volées… et tout se joue.
Les premiers jours : l’arrivée, le décalage horaire et les entraînements
On est arrivés le mercredi pour une compétition qui débutait le dimanche. Avec les six heures de décalage horaire, c’est toujours compliqué à encaisser pour le corps. Il faut deux ou trois jours pour vraiment retrouver ses repères. On enchaîne alors les premiers entraînements, histoire de se remettre dans le rythme.
Ensuite, il y a la soirée du tirage au sort, le fameux "draw", un moment vraiment particulier. Les deux premiers du classement annuel de la Coupe du Monde sont placés aux deux extrémités du tableau, et pour les six autres, les noms sont tirés au sort. C’est super stressant parce qu’on connaît les archers présents, mais on ne sait pas encore contre qui on va tomber. On est assis sur des chaises, appelés sur scène, devant le public, et derrière nous le tableau s’affiche au fur et à mesure.
Cette année, j’ai été tiré au sort parmi les premiers et je tombe contre Florian Unruh, l’Allemand. Le tirage est plutôt favorable pour moi, surtout par rapport à l’année précédente… mais attention : ce n’est pas n’importe qui. Il fait partie des huit meilleurs archers de l’année, donc rien n’est gagné d’avance. C’est juste que, comparé à l'an dernier où je suis tombé d’entrée sur Kim Woojin, numéro un mondial et champion olympique, j’avais beaucoup moins d’appréhension.
Entre le "draw" et le début de la compétition : un temps étrange
Après le tirage qui a eu lieu le jeudi soir, il reste encore trois jours avant la compétition. Je connais mon adversaire, je le croise dans l’hôtel… et là, c’est toujours un moment bizarre.
Est-ce que je le regarde ? Est-ce que je lui dis bonjour ? Est-ce que j’évite le contact ?
C’est une sensation qu’on ne vit que sur un événement comme celui-ci ou sur les Jeux Olympiques. Cette fois, et ce, comme souvent, j'ai décidé de jouer le rôle de quelqu'un de souriant, sûr de lui et déterminé. Rien ne laisse transparaître le doute en moi, je vais gagner.
Le jour J : routine et prise d'informations
Le dimanche matin est censé être un moment de repos, mais on tourne toujours un peu dans son lit. Je prends le temps de me préparer, de faire mon sac, surtout qu’il faisait froid, un peu de vent, et même un peu de pluie. Je suis très organisé, donc j’emporte tout ce qu’il me faut pour affronter n’importe quelle condition. L'idée est d'être paré à toute éventualité pour être dans les meilleures conditions possibles.
Petite anecdote : depuis ma salle de bain d’hôtel, à plusieurs centaines de mètres des cibles, j’avais une vue directe sur le terrain de finale. La compétition du matin avait commencé et c'était les femmes classiques qui ouvraient le bal.
Donc oui : j’ai sorti ma longue-vue et j’ai observé les matchs du matin pour analyser : – est-ce que le vent pousse à droite ? – est-ce qu’il y a une tendance sur la première flèche de chacune dans l'arène ? Bref, prendre un maximum d’infos pour être prêt.
Je n’avais pas d’entraînement de prévu ce matin-là, mais j’ai profité d'avoir le temps pour monter mon arc et faire quelques répétitions. Ça me rassure énormément. Tant que je n’ai pas les doigts sur la corde, j’ai la boule au ventre. Dès que je touche mon arc, je sens que ça va bien se passer.
Le début de la compétition : dans ma bulle
Quand l’après-midi arrive, je suis vraiment dans ma bulle à 100 %. Plus actif, plus “agressif”. En tir alterné face à mon adversaire, je lève le bras très vite pour tirer, je prends les initiatives, je fonce. C’est une attitude qui m’épate un peu, parce que normalement je suis plutôt posé, calme, méthodique. Là, je suis hyper actif et je sens que ça fonctionne.
Quart de finale : 6–0
Mon premier match contre Florian Unruh se passe très bien. Bonnes sensations, bonnes volées, du stress évidemment, mais je remporte le match 6–0. Je suis dans le dernier carré, et il ne reste plus qu’une victoire pour monter sur le podium.
Demi-finale : un moment de flottement
En demi-finale, j’affronte Marcus D’Almeida. Je suis dans la même dynamique, mais à un moment, je sors un peu la tête : l'arbitre de ligne m'indique que je lève le bras pour tirer ma flèche un peu trop tôt. Dans les faits, il y a un léger décalage entre le moment où mon adversaire tire sa flèche et le moment où le feu passe au vert pour moi. Dans ma démarche, je ne prêtais pas attention à la couleur du feu qui m'autorisait à tirer ma flèche, je me fiais simplement au départ de la flèche de mon adversaire.
Et là, je perds un peu ma dynamique sur la seconde volée. Derrière, j’ai du mal à me remettre dedans. Je ne perds pas confiance, mais le match va très vite et tourne en sa faveur.
Le match pour la médaille de bronze : un duel chargé d’histoire
J’enchaîne directement avec la petite finale contre Mete Gazoz, qui m’avait sorti en huitième de finale aux Jeux Olympiques de Paris. Évidemment, des images reviennent pendant le match. Mais je bloque tout, je me renferme, je reste concentré sur ma démarche : proactivité, rythme, précision.
On enchaîne les égalités. Je tire plusieurs 10 en dernière flèche pour égaliser, j'adore cette position ! Cela montre que je suis vraiment présent, déterminé et que je ne laisse aucune place à mon adversaire.
Puis arrive la dernière volée, décisive. Il fallait un 9 ou un 10 pour gagner, mais dans ma tête c’était un 10, à cause d’une flèche sur un cordon un peu litigieux. Je venais de faire 9 puis 8, mais j’avais une opportunité grâce à une erreur de Mete.
Dans ma tête je me dis : “Vas-y, fonce. Tire-la avec envie. Avec détermination. Et on verra.”
Je tire. Elle arrive dans le 10.
Je me retourne vers Romain, mon entraîneur, pour qu’il confirme. Il me dit oui. Et là… c’est le moment de joie, celui où tu réalises ce que tu viens de faire. L'espace d'un instant, le temps est suspendu.
Une conclusion parfaite
Monter sur ce podium, c’est énorme. Très peu d’athlètes y sont arrivés. Et pour moi, c’était seulement ma deuxième qualification pour cette finale de coupe du monde. Après une saison où je suis passé plusieurs fois tout près du dernier carré en individuel — cinquième, sixième — c’est une conclusion parfaite.
Et petite anecdote : la médaille que j'ai remporté a des petites paillettes à l’intérieur, un peu comme une boule à neige quand on la secoue. Une médaille originale pour une compétition importante.
